• Ecriture

    Que ce soient pour quelques mots jetés sur une feuille ou le début d'un roman, cette rubrique est consacrée à l’Écriture, avec un grand E !

    Ici, vous pourrez lire tous les écrits des Tourbillonnantes, de tous les styles, de tous les genres.

    Les responsables de cette rubrique sont Bluebird et La Pianiste !

    Alors, à vos plumes !

    Ecriture

  • Allez je me lance pour cette rubrique ! Voici un texte que je range dans la catégorie "Exercice de style". J'aime beaucoup faire ça, ça permet d'écrire des choses, abouties ou pas, et en même temps de s'exercer et s'entraîner à manier les mots... que du bonus donc ! Ici, j'ai pioché au hasard cinq mots dans le dictionnaire (sans regarder, juré !) et je me suis posé la contrainte d'écrire un texte avec. En découvrant les mots, il m'est venu naturellement, et je l'affectionne... j'espère qu'il vous plaira ! Bonne lecture !

    Mots piochés : Gazeux-euse ; nuageux-euse ; pédopsychiatre ; salant-s ; éclairer-é-ée

    Un homme

    Yohann Legrand était un homme solitaire, presque austère. De grande taille, il était brun, dégingandé, avait les yeux sombres et la peau terne, un peu rugueuse. Ses traits étaient émaciés, son nez aquilin, ses lèvres fines. Ses yeux noirs étaient profondément enfoncés dans leurs orbites, soulignés par des sourcils broussailleux et des cernes violacées. Il adoptait la courbure de tête des hommes grands, cette posture presque timide, comme pou s'excuser de dépasser les autres. Il portait des costumes sombres,  chaque jour un différent. Yohann Legrand n'était pas beau, non, et pas vraiment sociable ce qui faisait qu'il n'avait pas ou très peu d'amis, et que personne ne le connaissait réellement. Pourtant, d'un point de vue objectif, il aurait valu la peine que l'on s'intéresse à lui. Il était pédopsychiatre dans un hôpital, où il avait un bureau personnel, clair, lumineux, décoré de dessins d'enfants, avec des jouets dans un coin et un tapis vert pomme. Il était en apparence si différent de son bureau que nul n'aurait pu croire qu'il en était le propriétaire. Le personnel de l'hôpital, les aides-soignants et les autre médecins avaient un peu peur de lui, comme s'il était au-dessus, à un autre niveau, comme s'il appartenait à une autre dimension. Et lorsque ceux-ci devaient travailler avec lui, ils le traitaient toujours avec un grand respect empreint de distance. Mais le docteur Legrand n'y prenait pas garde. Il semblait enfermé dans sa bulle. Il se réveillait tous les matins à six heures tapantes, buvait un verre d'eau gazeuse, se lavait, déjeunait, lisait un journal sans jamais le finir, enfilait son costume, attrapait son cartable, fermait sa porte d'entrée, sortait du hall de l'immeuble Haussmannien dans lequel il vivait, traversait la rue et marchait dix minutes pour arriver à l'hôpital où il déclinait son identité et prenait la relève du médecin de nuit, après un bref hochement de tête en guise de salut. Et il recommençait tous les matins, inlassablement; Et puis un jour, il ne se présenta pas à l'hôpital. Il ne répondait pas quand on l'appelait, son portable gisait au fond d'une poubelle. Pourtant, comme chaque matin, il s'était préparé et était sorti de chez lui. Mais ce matin-là, Yohann Legrand n'avait pas pris la direction de l'hôpital. Il avait levé la tête, contemplé le ciel gris et nuageux, humé l'air chargé d'électricité, cet air lourd des jours sans lumière. Il avait marché plusieurs heures, à travers la ville, puis la banlieue, le long de la route, puis sur un sentier, sans jamais regarder en arrière. Enfin, il arriva à destination. C'était un coin perdu, désert. Les herbes hautes lui arrivaient au-dessus des genoux, jaunies par l'été presque entamé. Il parcourut encore une trentaine de mètre et grimpa sur une butte terreuse. De là, il pouvait enfin la voir; L'étendue d'eau s'étalait devant lui, sans une vague. Il s'agissait d'un marais salant.  L'odeur reconnaissable entre mille lui parvint aux narines. Il frémit. Il n'avait pas respiré cet air depuis longtemps, trop longtemps. Yohann Legrand poursuivit son chemin, crapahuta à travers les broussailles, slaloma entre les pierres. Il fit quelques pas dans l'eau, sentant les algues et la vase contre sa peau. Il paraissait décalé dans ce décor sauvage avec son costume gris et son cartable en cuir; Mais il s'en fichait, cet endroit signifiait tellement de choses pour lui. Une rafale de vent s'engouffra dans sa veste et il respira un grand coup. Il n'y avait pas de bruit hormis celui des gouttelettes de pluie qui s'étaient mises à tomber, perçant la surface d'huile du marais de mille et un petits cercles. Il grimpa sur l'un des sentiers terreux qui traversaient le marais et s'arrêta. En plein milieu. Soudain, il la revoyait, avec sa robe légère, flottant au vent, et sa main sur son chapeau de paille pour l'empêcher de s'envoler. Il la revoyait, pieds nus au milieu des herbes, ses courts cheveux bruns en bataille et ses yeux... ses yeux rieurs, remplis de bonté et d'intelligence, sa bouche charnue. Il revoyait sa main tendue vers lui. Il la revoyait toute entière, éclairée d'une lumière douce et chaude. Il la revoyait oui... elle paraissait tellement réelle... Il sourit dans le vague, d'un sourire triste et heureux à la fois. C'était son anniversaire aujourd'hui, et Yohann lui avait apporté un cadeau. Mais il ne lui offrit pas. Pas encore. Il attendrait le crépuscule pour se remémorer ce qu'elle aurait dit. Encore une année qui passe ! Je vais bien en profiter, promis ! Mais... cela faisait cinq fois qu'elle n'avait pas eu l'occasion de prononcer ces mots. Cinq fois que ses bougies n'avaient pas été soufflées. Oui, cela faisait cinq ans qu'Annie était morte.

     

    Epilogue

    Yohann Legrand ne retourna pas au travail le lendemain. Ni le jour d'après, d'ailleurs. Personne ne le revit jamais. Il avait disparu, s'était évaporé. Yohann Legrand avait finalement choisi d'être libre. Yohann Legrand s'était enfin envolé.

     


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique